Mon dîner avec le Pape des vins anciens

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Dans l’univers des professionnels du vin François Audouze est un monsieur que l’on ne présente plus. Fondateur de l’académie des vins anciens, collectionneurs de très vieux millésimes et organisateur des « Wine Dinners », où les heureux convives se réunissent autour de vins rares, un dîner en sa compagnie est une chance exceptionnelle et c’est une expérience unique que j’ai vécu le mois dernier dans le cadre charmant du restaurant « Le Paloma » à Mougins lors de l’évènement gastronomique international « Les Etoiles de Mougins » où ce dernier m’avait invité.

En France comme à l’étranger, François Audouze fait figure de référence sur les vins anciens. Les très vieux flacons, François Audouze  les a découverts dès 1970 où il se constitue une cave mais tout se jouera en 1976 en buvant un château Climens 1923  « je décide à 33 ans que tout mon avenir s’inscrira dans le vin ancien ». Aujourd’hui encore c’est la même émotion  qui motive ce passionné chaque fois qu’il déguste et contrairement à certains qui achètent de vieux millésimes et n’y touche pas, lui il les boit et il fait partager ses  vins rares à des amateurs (fortunés) lors de dîners privés.

Sa méthode d’oxygénation lente

L’ouverture d’un vin d’exception est un véritable cérémonial pour cet homme qui a développé une technique particulière d’ouverture des bouteilles de vins anciens qu’il désigne sous le terme d’oxygénation lente. Cela consiste à extraire lentement et progressivement les bouchons âgés, souvent fragilisés, des flacons. Il ne voyage d’ailleurs jamais sans sa panoplie de tire-bouchons que j’ai pu admirer. La prise de contact du vin avec l’oxygène est ainsi plus progressive puisqu’il ouvre le vin 4 h avant de le boire, puis il laisse la bouteille debout sans la toucher. Lorsque c’est l’heure du dîner, il verse doucement le vin dans les verres, c’est tout.

Dans les carnets de François Audouze, il y a plus de 11.000 bouteilles racontées, rares sont celles qui ont moins de 20 ans, il s’est d’ailleurs crée une véritable banque de donnée, ainsi, il peut rapidement comptabiliser les 8 Cheval Blanc 1947 qu’il a dégusté.

J’ai adoré cette soirée intime dans ce cercle de grands initiés

A 20 heures précises nous sommes au complet. François Audouze nous accueille et donne le ton sur le déroulement de la  soirée. Il fait doux sur la belle terrasse, coucher de soleil sur la baie de Cannes. Il y a six femmes pour quatre hommes, cinq habitués de ses dîners dont deux américaines qui sont venues spécialement des USA ! un jeune couple qui arrive de Lyon.

Nous nous installons sur la terrasse pour faire connaissance et nous présenter, pour l’apéritif le chef a concocté une trilogie gourmande, barbe à papa et toast de Pata Negra.

Le dîner se déroule dans une salle privée du restaurant.

Je laisse François Audouze vous résumer son 191 ème dîner

« Nous passons à table et sur l’amuse-bouche, le sommelier nous sert le Champagne Lanson Red Label 1961. Le parfum de ce champagne est irréelle ment envoûtant. Un convive bizut préférera le parfum au vin lui-même, ce qui n’est pas mon cas. C’est en bouche que tout se joue, le champagne délivrant des complexités inimaginables et changeant à chaque gorgée. Tout y est, fruits rouges, caramel, beurre. On pourrait à chaque gorgée penser à une saveur et on la trouverait. Je trouve ce champagne parfait et mon vote final en portera témoignage. Sur les plats qui suivent nous aurons à chaque fois deux vins. La langoustine est une merveille de précision de cuisson. Le Château Laville Haut-brion 1976 a une couleur d’un jaune à peine doré, d’une grande jeunesse. Ce vin est à un stade de sa vie où on ne lui voit aucune trace d’âge. Il est épanoui, cohérent, équilibré, avec une acidité dosée parfaitement. Ce vin est un régal. A côté de lui, le Montrachet Roland Thévenin 1947 envahit nos narines d’un parfum de truffe blanche. C’est fou. En bouche on pourrait craindre le pire mais en fait, même si le vin est un peu fatigué et joue de la godille en milieu de bouche, son finale est droit dans ses bottes et signe un grand vin. Les vins anciens offrant toujours des surprises, quelques minutes plus tard, l’odeur de truffe blanche a complètement disparu, le vin devenant de plus en plus civilisé. Fatigué certes, mais offrant du plaisir.

J’avais signalé au chef au déjeuner que le turbot était un peu fumé. Il l’est encore ce soir. Le Château Ausone 1979 est comme le dit un ami « très Ausone », c’est-à-dire le bon élève de la classe. On ne pourrait trouver aucun défaut à ce vin, mais on pourrait lui reprocher d’être trop dans la ligne du parti, et de manquer de canaillerie. Curieusement le vin est un peu trouble ce qui ne le handicape pas. Le Château Haut-Brion rouge 1950 qui avait à l’ouverture un nez époustouflant a perdu un peu de sa vivacité. Un ami le trouve très rive droite, proche de Lafleur, plus que dans la ligne historique de Haut-Brion. J’ai suffisamment de points de repère de ce 1950 que j’ai bu et adoré de nombreuses fois pour que je ressente le plaisir de me trouver en face d’un grand Haut-Brion, riche, truffé, presque charbonné, et de laisser de côté deux ou trois petites imperfections. On dit que l’amour est aveugle. Il l’est dans mon cas face à ce 1950 que je vénère.

L’agneau traité de façon orientale avec des mâches diverses est trop compliqué pour des bourgognes subtils, mais ne boudons pas notre plaisir. Le Mazis-Chambertin Bouchard Père & Fils 1959 a une magnifique couleur d’un rubis clair. Le Chambertin Clos-de-Bèze Pierre Damoy 1964 est comme l’Ausone curieusement trouble, ce qui ne gêne pas non plus. Est-ce qu’un jour de repos dans la cave du Paloma aurait été insuffisant ? C’est inhabituel. Les deux vins sont très proches, au sommet de l’art de la Bourgogne. C’est très rare que je mette deux vins aussi proches car j’aime bien ouvrir sur un même plat deux vins peu comparables. On remarque nettement que le Mazis-Chambertin profite de l’effet de son millésime superbe et que le Chambertin Clos de Bèze, d’une année moins bénie, profite de sa structure plus riche. Lorsque l’on passe de l’un à l’autre on serait bien en peine de dire lequel on préfère. J’ai finalement choisi le 1959 du fait du caractère joyeux de son finale, même si le parfum du 1964 est plus authentiquement bourguignon. Le Château Lafaurie-Peyraguey 1971 est un sauternes qui est toujours au rendez-vous, riche, profond, facile à vivre et sans histoire. Avec lui on est bien. Il forme avec le stilton un accord archétypal. Une des charmantes serveuses m’avait vanté les mérites d’un bleu qu’elle connaît et préfère, le Blue di Buffala. Je l’ai essayé sur le sauternes. Il est bon et forme un accord possible mais il est trop salé.

La bouteille du Château d’Yquem 1960 est magnifique, au niveau dans le goulot et à la couleur incroyablement foncée du vin. Cet Yquem est langoureux, dosant ses complexités comme dans une danse des sept voiles. C’est un très beau et grand Yquem, qui n’a pas été aidé par une interprétation trop compliquée de la mangue. Mais il est tellement grand qu’il se suffit à lui-même ».

Une expérience que je n’oublierai pas

L’expérience unique de dégustation de 10 vins rares que j’ai beaucoup apprécié  lors de ce « Wine-Dînner » invitée par François Audouze,  m’a passionné, elle m’a permis une fois de plus de m’interroger sur les alliances des saveurs et des textures des mets que cuisinent la nouvelle génération de chefs sans avoir dégusté au préalable des vins qui les accompagneront. Lors de cette soirée où 10 convives découvrirent 10 grands crus très prestigieux d’anciens  millésimes qu’accompagnaient des plats très sophistiqués, j’ai regretté de constater  le fossé qu’il y a entre les nouvelles expériences culinaires des chefs et l’univers des puristes du vin.

Un vin qui a entre 40 et 60 ans ne développe pas les mêmes arômes qu’un vin récent, dommage que cela ne s’apprenne pas à l’école hôtelière, peu de chefs d’ailleurs en ont goûté dans leur carrière. Le jeune chef Nicolas Decherchi du Paloma à Mougins a accepté ce pari périlleux d’adapter ses recettes chargées de subtilité où il excelle dans des associations d’arômes improbables et les textures originales, avec les vieux vins, mais par exemple sa recette du turbo fumé (pourtant excellente) s’est révélée déroutante en bouche associée au Château Ausone 79, même expérience avec le Château Haut-Brion 50, il en a été de même pour l’agneau  façon orientale, difficile mariage  des épices avec le subtil  Mazis-Chambertin de Bouchard Père &Fils 59 et pas vraiment idéal avec le Chambertin Clos-de-Bèze de Pierre Damoy 64. Certains convives ont fait remarquer que  la complexité et la subtilité de ces vins pourraient séduire nos papilles tout simplement accompagnés d’un peu de pain et de beurre. Une expérience de plus pour le maître de cérémonie. Heureusement, j’ai beaucoup apprécié l’harmonie des saveurs du dessert avec le Château d’Yquem et avant cela l’association fromage Blue di Buffala et Sauternes.

 

Si vous êtes intéressée par ces dîners d’exception, pour connaître les prochaines dates et lieux,  contactez François Audouze : www.wine-dinners.com et www.academiedesvinsanciens.org




1 commentaire

  1. Merci de ce compte-rendu.
    Le sujet des accords mets et vins est un sujet auquel je consacre beaucoup de temps.
    Je passe mon temps à dire aux chefs : « simplifiez, simplifiez », car les vins anciens ont besoin d’avoir des saveurs claires et lisibles, sans ajoutes qui compliquent le goût.
    Des chefs le comprennent parfaitement et d’autres ont du mal à accepter de ne pas mettre ces petites complications qui brouillent les pistes.
    Lorsqu’on est jeune, on imagine qu’en simplifiant les plats, on ne peut pas montrer son talent, ce qui est une erreur.
    Nicolas a du talent. je suis sûr que sur un prochain dîner, on arrivera à faire ce que les vins anciens réclament.

    Merci encore de ce compte-rendu et bonnes fêtes,

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