Avec à sa tête une dynamique présidente, l’AOP Faugères située dans le Haut Languedoc se veut être exemplaire et faire école en tant qu’appellation, créer le concept nouveau de « Faugères, Grands Vins de Nature », et étendre cette dynamique au-delà du bio et la biodynamie, par un respect sincère des vignerons pour leur environnement naturel. L’appellation souhaite d’ores et déjà se projeter dans l’« après », lorsque le bio sera la norme. Démarche courageuse de cette femme à la tête du « cru Faugères » dans une région où les mentalités masculines ne sont pas évidentes à faire évoluer, mais la jeune génération consciente du défi qu’impose les consommateurs s’implique complètement.
Vigneronne et ingénieur agronome passionnée par le vin et par ce grand terroir méditerranéen qu’elle qualifie d’extraordinaire, pour produire des vins à son image, qu’elle protège et défend pour que cela perdure longtemps, Nathalie Caumette Présidente du syndicat de l’appellation Faugères dans le Languedoc, en pionnière, s’est lancée dans une initiative unique en France face à l’incroyable défi du changement climatique en créant un véritable laboratoire à ciel ouvert afin d’expérimenter de nouvelles pratiques qui préserve « Dame Nature ».
À l’appel des 144 vignerons de l’AOP Faugères, les maires des sept communes du Faugérois ont ratifié, jeudi 29 août dernier dans le village héraultais de Fos, une lettre d’engagement en faveur de la transition agro-écologique (©DR)
« La viticulture n’est pas une parcelle, elle concerne un territoire qui doit, à un moment charnière de notre Histoire, engager la responsabilité de tous, élus, banquiers, organismes techniques, riverains et consommateurs », rappelle Nathalie Caumette, qui est aussi vigneronne du domaine viticole « l’Ancienne Mercerie » (en bio) à Autignac.
Un vignoble à l’avant-garde qui a fait ses preuves
À Faugères, l’air, la gestion de l’eau, la conservation des paysages, des espèces sont des problématiques communes qui mobilisent, depuis plus de trente ans, un vignoble pionnier pour sa démarche environnementale. Aujourd’hui, plus de 40% de ses surfaces sont en bio et 80% des vignerons y respectent au moins un engagement agro-environnemental (AB, biodynamie, HVE…). Cet engagement s’illustre notamment par la lutte sans insecticide contre le ver de grappes avec 500 ha du vignoble confusé, la surveillance renforcée des vignes par le syndicat reconnu Groupement de Défense contre les Organismes Nuisibles (GDON) depuis 2006 pour lutter contre la flavescence dorée, les expérimentations sur l’enherbement avec le GIEE Les Enherbeurs initié en 2015. En 2011, Faugères fut la première AOP viticole française à inscrire des démarches agro-écologiques dans son cahier des charges (comme l’interdiction de désherbage chimique des tournières). En 2019, le syndicat de l’appellation est devenu groupe pilote à l’échelle nationale en matière de transition agro-écologique dans le cadre du projet Traeviti de l’Institut Français du Vin (IFV).
Un relais pédagogique futur avec Good Planet
Pour renforcer sa démarche, l’AOP noue des contacts et des partenariats. Ainsi, Nathalie Caumette a rencontré un responsable de la fondation Good Planet présidée par Yann Arthus Bertrand. L’idée est d’envisager la création d’un relais pédagogique dans le futur lieu-ressource de l’appellation Faugères.
Afin de mieux comprendre ce qui motive Nathalie, celle-ci a accepté mon interview.
1) On peut dire que vous faites bouger les choses, l’engagement de 7 communes à l’appel de l’AOP Faugères est une première en France.
N C : Effectivement, ça parait une évidence, mais si c’était si facile ce serait déjà fait. Je crois que pour faire bouger les choses, le territoire est la seule échelle possible. Et puis historiquement les maires ont toujours été importants pour la viticulture en Languedoc, il faut continuer à leur reconnaitre cette place.
2) Il faudra du courage aux élus, aux agriculteurs, aux viticulteurs, aux responsables environnementaux, aux consommateurs pour faire respecter cette démarche environnementale. Se sentent-ils tous vraiment concernés ? pas trop de septiques ?
N C : Si bien sûr, mais nous avons déjà fait nos preuves, y compris avec les communes de l’appellation puisque nous avons tous ensembles, AOP Faugères, syndicat de défense de la qualité de l’eau et les communes travaillé sur la récupération des eaux usées, en cave, pulvérisateurs ou machines à vendanger pour protéger l’eau potable et les cours d’eau. Certaines communes ont obtenu le label Terre Saine en se passant totalement de pesticide pour l’entretien des rues. Ce label est matérialisé par l’obtention de grenouilles fièrement affichée à l’entrée des villages, nous en avons en tout déjà 15 sur 21 possibles : les autres ne vont pas tarder à arriver. En fait nous essayons de convaincre les sceptiques par l’exemple et la patience et ça marche plutôt bien : à Faugères la dynamique du Bio est vraiment impressionnante et se poursuit bien au-delà des convaincus et des opportunistes : tout le monde y réfléchit, peut constater que c’est possible et nous sommes capables de les aider lorsqu’ils se sentent près à franchir le pas.
3) Déjà très engagée dans votre profession de vigneronne et votre expérience pensez-vous que votre crédibilité est un atout pour faire bouger les mentalités ?
N C : Oui je crois beaucoup à l’exemple comme je viens de vous le dire. Mais ensuite je ne suis bien évidemment pas seule dans cet engagement, on ne peut rien faire seul. Nous sommes vraiment une équipe, l’ODG Faugères et son conseil d’administration (très majoritairement féminin, c’est une particularité de cette appellation !), les techniciens et animateur du syndicat de rivière qui travaillent sur nos bassins versants, les maires et leurs équipes municipale, aujourd’hui de manière officielle. Nous sommes tous crédibles car beaucoup de choses ont été faites depuis une dizaine d’années, et toujours dans le respect des vignerons : ils ont été écoutés, individuellement souvent, et compris et accompagnés dans leurs besoins et leurs sensibilités.
4) Comment les vignerons de l’AOP ont vécus votre engagement agroenvironnemental, imposant des mesures de préservation de la biodiversité dans le cahier des charges de l’AOC ?
N C : En fait les vignerons de Faugères ont depuis toujours, fait de la préservation de leur terroir une priorité. il n’y a eu donc aucun problème en 2008 lorsque la réforme européenne des AOC viticoles a imposé des réécritures des cahiers des charges pour inclure des mesures agroenvironnementales. Nous étions pionniers et ni l’inao ni le ministère de l’agriculture n’en voulaient !! mais nous avons réussi quand même. L’idée était vraiment de garantir millésime après millésime la qualité des raisins et du vin, alors que le dogme était toujours la baisse des rendements et le durcissement des conditions de production, tout à fait incohérent ici, où les rendements sont naturellement très faibles (autour de 33 hl/ha en moyenne) : ce qui est donc vital à Faugères c’est que le sol, le terroir fonctionne bien et que les vignes soient bien enracinées, bien plus que le nombre de coursons !
5) Ce changement climatique, comment impacte-t-il le vin ?
N C : Pour le vin c’est difficile à dire, pour la vigne par contre, les évènements inédits se multiplient : mildiou exceptionnel en 2018, record de température et brûlure des feuilles et des raisins en 2019, quid de 2020 ? Les vins restent très généreux, chaleureux mais sans jamais perdre leur fraîcheur qui est la caractéristique principale de nos vins. D’ailleurs les PH des rouges sont toujours autour de 3,5/3,6 après les « malo », et les vins continuent à très bien évoluer sur des temps de garde de 10 ans ou plus.
6) 0n vous appelle « Dame Nature » parvenez-vous à faire évoluer les pratiques, les mentalités et apporter des solutions plus naturelles aux vignerons de l’AOP pour restreindre les désherbants chimiques, lutter sans la chimie contre la flavescence dorée, imposer de supprimer les engrais azotés…?
N C : Je suis effectivement une naturaliste passionnée, et je sais aussi que sans la nature l’homme ne pourra pas longtemps vivre sur cette terre. La nature à 4 milliards d’années d’avance sur nous. ll y a plus de technologie dans le moindre brin d’herbe que dans n’importe quel ordinateur ! Nous avons fait à Faugères ce qui était possible et « facile » à faire, en changeant de perspective, et en jouant collectif. Ces évolutions de pratiques se poursuivent à leur rythme, et il vaut mieux arriver au bout lentement que ne pas y arriver. Je suis sincèrement confiante, et le bilan est déjà impressionnant, 40% de bio, (et le chiffre est fiable, c’est un engagement de ne pas dire n’importe quoi) c’est 4 fois plus que la moyenne nationale et régionale. On est aussi largement dans les clous des objectifs du fameux plan ecophyto1 qui étaient de réduire de 50% l’utilisation de pesticides, alors qu’on a globalement augmenté de 20%! Nos actions de luttes contre la flavescence dorée en sont largement responsables, nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls en France puisque à Bordeaux de manière plus officielle, ils ont mis en place une vraie surveillance et réduit considérablement l’utilisation des insecticides pour lutter contre cette maladie gravissime. En ce qui concerne les engrais azotés nous les avons réduits dès 2008, pour ne pas rendre nos souches obèses et plus sensibles aux maladies.
crédit photos: AOP Faugères
www.faugeres.com